©muze

Il y avait cette Force immense, au-dessus de lui, à laquelle il ne donnait pas de nom. Il savait cependant que peu importe l'endroit où il se trouvait, et ce qu'il y faisait, Elle l'observait. Depuis toujours, il La sentait. Parfois, il avait l'impression qu'il aurait pu la toucher rien qu'en levant la tête : le bout de son nez L'aurait frôlé, et peut-être même L'aurait-il vu. Mais la plupart du temps, Elle se tenait loin de lui. Si loin qu'il s'était plus d'une fois demandé si Elle n'était pas finalement en train de la quitter. Mais Elle finissait toujours par se rapprocher, pour l'entourer à nouveau de Ses millions d'yeux et de Ses murmures incessants.
C'était pour Elle qu'il s'agenouillait, le soir, aux pieds de son lit, ses lèvres s'agitant dans une prière muette, dans l'espoir qu'Elle lui pardonne. Pour Elle qu'il meurtrissait parfois sa chair, mêlant son sang à Son invisible présence, espérant peut-être La rendre plus réelle.
Elle seule savait tout, Elle seule voyait tout. Jusqu'aux recoins les plus sombres de son âme, et jusqu'à ses plus honteux secrets. Elle seule était apte à le juger, et il sentait peser sur lui le poids de Sa désapprobation, lorsque ses regards ou ses mains s'attardaient un peu trop sur le corps de sa sœur.
Il avait fini par L’appeler « Norvège », et le ciel était Sa demeure, si Elle n'était pas le ciel, tout simplement. Et il tendait désespérément les mains vers Elle, les larmes aux yeux, pour Elle, pour qu'Elle ne cesse de danser autour de lui, que Ses mains toujours le frôlent et que Ses regards jamais ne le quittent. Elle était son guide, celle qui le gardait du pire, du Mal, de la fange et des démons qui l'habitaient.

muze →

20 ans →

Présence régulière →

Il me tarde de voir ce qu'un tel forum peut inspirer.

©muze

DREAM. Je suis à ses pieds et mon front touche le sol. Je n'éprouve aucune honte et pourtant, on ne pourrait montrer plus de soumission. Le poids de Son regard pèse sur mes épaules, et je n'aurais pu me redresser même si je l'avais voulu. Je ne La vois pas, mais je La sens. Elle a l'odeur du péché, l'odeur des fleurs qui flétrissent sur les tombes, l'odeur du sang, de la mort, de la violence et de la colère. Elle murmure des choses que je ne comprends pas, car je n'en suis pas digne. Elle se tient là, debout devant moi, puissance et beauté même. Je ne suis rien et Sa simple présence m'écrase. Elle me juge, me méprise, rit de mes fautes et de mes monstrueux penchants. Elle sait tout de moi et ce savoir me soulage. Je sais qu'Elle me pardonne : ses moqueries m'absolvent et je sais qu'Elle se glisse sous la peau de chaque femme que je prends. Puissance jalouse. Elle chuchote soudain à mon oreille, m'ordonne de lever les yeux vers Elle. Je m'exécute avec crainte et humilité. Je sais que plus jamais ne me sera donnée l'occasion de voir pareille beauté. Elle sourit et son sourire est comme une lame qui déchire mon âme toute entière. Mais je n'ai que faire de la douleur puisqu'Elle est là, devant moi, me regarde sans ciller, et Ses lèvres ne cessent de se mouvoir, sans qu'aucune voix ne se fasse entendre. Je n'aurais su la décrire, car on ne décrit pas la « perfection », quand on en a devant soi la représentation. Le mot lui-même en perdrait tout son sens, soudain trop vulgaire et manquant de précision. Aucun mot n'était à Sa hauteur, et mieux valait garder le silence. Soudain, Elle s'approche et me force à baisser de nouveau la tête. J'entends ma nuque craquer sous la force de ses doigts, et lorsque je suis autorisé à la regarder de nouveau, ce ne sont plus à Ses pieds que je me trouve. C'est Eva qui me sourit, et me tend une main, que je ne tarde pas à prendre. Eva, ses cheveux blonds et ses yeux clairs. Elle était belle, de ces beautés évidentes que l'on devine rien qu'à en entendre la description. Et je l'aime Eva, je l'aime tant. Mes mains se font étau et je sais que plus jamais je ne pourrais la lâcher. Elle me sourit toujours. Je lui dis que je l'aime. Je t'aime Eva, je t'aime tant. Et elle me dit qu'elle aussi. Moi aussi. Et j'emprisonne aussi son sourire, ses lèvres, ses yeux, ses ongles, son regard, son âme, sa chevelure, ses cuisses... Qui m'emprisonnent à leur tour, dans une étreinte éternelle, où je sens sa poitrine s'écraser contre la mienne et ma bouche s'entrouvre pour laisser échapper le râle de mon plaisir infini.

NIGHTMARE. Mais lorsqu'elle crie à son tour, ce n'est plus de plaisir, mais de folie pure et je sens mon corps frissonner. Ses doigts se font serres et m'agrippent, tandis que ses jambes se nouent littéralement dans mon dos. Les échos de son cri demeurent, même lorsqu'il ne sort plus aucun son de sa bouche toujours ouverte. Son regard ne voit plus rien et je vois sa chair se noircir. Ce sont d'abord ses yeux, et peu à peu, le noir avance et semble ramper sous sa peau, la soulevant parfois à la manière d'un vers. J'imagine le noir prenant peu à peu la place du rouge, et son cœur semble maintenant ne plus pomper que de l'encre. Eva se tord et j'ai peur. Elle ne sent déjà plus le soleil et la chaleur. Sa chair semble pourrir sous mes doigts et sa bouche se tord encore dans son cri que plus personne n'entend. Alors je hurle à mon tour et me débat. Elle enfonce ses ongles sous ma peau, mais la souffrance ne me réveille pas. Ô Eva, ô ma sœur. Elle meurt, lentement, sous moi, en moi. Et bientôt ce n'est déjà plus qu'un amas de chair noire, qui bientôt cesse de se mouvoir, et dans un dernier soupir, s'évapore à la manière de cendre éparpillées par le vent. Je reste immobile et seul. Je L'appelle de toutes mes forces, mais Sa présence semble avoir été balayée en même temps que la chair noire d'Eva. J'ai la gorge nouée par l'horreur et le désespoir, mais je suis incapable de pleurer, ni même de demander pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi elle et pourquoi de cette façon ? Pourquoi si tôt ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi sans moi. Et j'arracherais volontiers les derniers morceaux de conscience qu'il me reste, donnerais le tout au Diable et qu'il m'emporte avec lui dans ses flammes, jusqu'à ce que ma chair noircisse à son tour.

©muze

FANTASY AND REALITY. Et mon Diable, c'est lui qui, dans son coin, tend sa main pleine de chair noire. Je le regarde de loin et me tord les mains. C'est de sa faute. C'est de sa faute. Il m'a pris ma sœur, et a noirci son corps. Il est le Mal et en lui je me perds. Je le hais et j'aurais aimé déchirer son être comme il a déchiré le mien le jour où il a pris Eva. Mais c'est toute mon âme qui aspire à s'agenouiller devant lui, pour le prier de me délivrez du mal. Ne nous soumets pas à la tentation et délivre-nous du Mal. Et à Son visage se superpose maintenant celui d'Eva et le sien, celui du sombre dealer qui, là-bas, vend sa mort, sa poudre et son charbon. Je m'approche et tend mes billets. Du papier contre la Mort, du papier pour ma nouvelle idole, ma dernière religion. Je résiste à l'envie de lui baiser les mains : je ne suis pas digne de le recevoir. Et lorsqu'il me tend sa viande, c'est sa chair que je reçois entre mes doigts. Il ne me voit pas, comme il ne voit sans doute pas plus ses autres clients. Mais moi, je le connais déjà la moindre de ses expressions par cœur. J'hésite avant de m'incliner, ne le fait qu'en esprit et ne croise surtout pas son regard. Je ne suis pas digne de te recevoir.
Et en moi, quelque chose ne cesse de hurler. C'est de sa faute. C'est de sa faute.
A peine le dos tourné que je piétine la dross jusqu'à ce qu'elle aussi ne soit plus que cendre. Qu'elle s'envole elle aussi et disparaisse, à son image, à l'image d'Eva. Elle la ramènera peut-être... Mais j'en garde parfois quelques morceaux, incapable d'oublier que je tiens là un peu du corps de ma Puissance, du Diable en personne. Et je ne sais plus qui croire, ma haine ou mon amour. Suis-je fidèle ou blasphème ? Ais-je encore le droit de La prier ? Alors à genoux, toutes les nuits, j'entaille mes poignets et noie mes péchés dans le sang, tentant d'oublier le visage du Diable, qui m'obsède pourtant. Et je mêle parfois un peu de sa viande noire à mon rouge sang.
C'est de sa faute.
Délivre-nous du Mal. Délivre-nous du Mal. Délivre-nous du Mal. Et lorsque je levais la tête vers le ciel, c'est comme s'il s'ouvrait soudain pour effacer de cette terre toute trace de mon être insignifiant.
Amen.