Une autre est morte avant-hier. J'ai reçu un faire-part de décès ce matin et je cite, seuls les plus proches amis seront invités pour honorer la mémoire de la défunte. Je n''ai jamais autant ri devant une de ces conneries de faire-part. Franchement, comme si la mort avait besoin d'un quelconque messager, comme si elle ne se contentait pas de se pointer avec sa faux et d'envoyer les plus chanceux paître en enfer. Et puis franchement "les plus proches amis" ? Mon cul ouais ! S'ils savaient que c'était entièrement de ma faute si leur fille s'était jetée du haut d'un pont, parce que je l'avais rendue tellement accroc à la drogue et dépendante de l'imaginaire qu'elle avait cru savoir voler cette pauvre conne, qu'est-ce qu'ils diraient ? Ah très bien, asseyez-vous et prenez donc un petit four en attendant qu'on ramène l'urne ? Je me serais bien pointé à l'enterrement avec Reno, histoire de pouvoir bouffer à l'oeil et de faire peur à quelques mégères mais ce con ne répond pas. A tous les coups, il doit être en train de pioncer au squat ou en train de crever d'une overdose dans une ruelle... Ça lui apprendra, flemme d'aller le chercher. Vu que je connais pas d'autres personnes susceptibles de passer un aussi bon moment que moi à une cérémonie funéraire au milieu des pleurs et des cris étouffés, je ferais mieux de trouver quelqu'un avec qui passer le temps et vite. Putain, je me sens seul. J'ai cet écho dans ma tête qui crie mon nom, et si je l'écoute, si je lui demande ce qu'elle veut, elle prend possession de moi. Faut que je la fasse taire, faut que je la fasse taire ! J'ai les doigts qui tremblent, je sors une cigarette de mon paquet, pas de dross tout seul où la voix va m'attraper. J'allume ma clope, je m'allonge sur mon lit, je la sens au-dessus de moi, elle me regarde, je ferme les yeux, je tire une bouffée, l'air goudronné pénètre dans mes poumons et je m'apaise. Je sors mon téléphone, compose, ça sonne. Bonjour, j'aimerais commander cinquante chrysanthèmes blanches s'il vous plaît. Oui, oui, cinquante. Blanches. C'est bien cela. Envoyez-moi Maganda Rivers, elle a l'habitude de livrer au manoir Vaughn. Je m'apprête à raccrocher, je reprends le combiné à la dernière minute. Ah et écrivez sur le petit mot : "Bon rétablissement !". Merci et bonne journée. Ben quoi ? Vous n'avez plus d'humour ?
Ils ont pour réputation de livrer tôt, dans les vingt minutes je crois, je branche ma patience sur vingt minutes, si elle met une minute de plus, je vais exploser, je vais l'exploser. Nihilus m'appelle la voix. Et je lui dit de fermer sa gueule, haut et fort, j'essaie de me maîtriser car elle adore quand je m'énerve. Je tire une autre taffe, et une autre, et encore une autre, je fais les cent pas, je tourne en rond, ça me rend malade. Je descends, j'en peux plus de voir ma chambre, cette antre qui a accueilli jalousement tant de vices. J'atteins le hall, j'écrase ma clope sur le buste romain situé devant l'escalier, depuis quand est-il là ce buste ? J'attends, en regardant la porte d'entrée, son bois majestueux, ses poignées en or, et je continue à faire les cents pas au rythme de mon palpitant qui s'affole. J'entends un bruit de pneu dans la cour.
Je crois que c'est elle.

L'air frais vient caresser sa chevelure ambrée. Elle dépose son vélo sur le bas côté et rentre dans la boutique, Le parfum subtil des fleurs l'envahit et elle ferme les yeux pendant quelques secondes. Puis, elle remarque un petit post-it sur le comptoir. Une livraison de chrysanthèmes t'attend, manoir Vaughn. Xoxo Angus. Un mince sourire ce dépose sur la beauté angélique. Elle fronce les sourcils mais comprend bien vite le choix de ces fleurs. C'est sa dernière livraison de la journée. Son compère sait bien qu'elle ne reviendra pas avant un bon moment lorsqu'elle livre à cette adresse. Elle dépose le bouquet dans le panier de son vélo, tout en y faisant attention. Car pour elle il n'y avait rien de plus beau qu'une fleur, une beauté naturelle, périssable mais marquante. Elle roule, les cheveux dans le vent, jusqu'à sa destination. La grande bâtisse lui fait face, ses pneus crissent sur le gravier. Ce manoir lui avait toujours donné la chair de poule, comme si elle sentait qu'il était habité. Un long frisson parcouru l'échine de la jolie poupée avant de mettre son cadenas au vélo. Une habitude, même si le pire des voleurs ne viendrait pas ici, tellement la demeure était morbide. Prenant délicatement ses jolies fleurs, elle déposa le mot parmi elles. Maganda n'avait pas eu le temps de le lire, Angus l'avait écrit et mit dans une petite enveloppe. Marchant jusqu'aux portes, elle n'eut même pas besoin de sonner que Niels vient lui ouvrir. Les yeux de la jeune femme se posent alors sur le mot, vaincue par sa curiosité naissante. « Hum, bon rétablissement. Tu penses vraiment que la famille appréciera ton humour ? » La jeune brune entre dans la demeure, comme attirée par elle. Elle tient toujours dans ses jolies mains le bouquet de chrysanthèmes. La mort, la mort rôde autour de ses murs, elle le sent et veut l'approcher de plus près. Pas maintenant petite. Ton heure viendra. Le rythme de son cœur martèle sa pauvre cage thoracique à la recherche d'un danger quelconque. Elle se retourne, ses pupilles opales s'ancrent dans celles du jeune homme. « Tu as des remords pour que tu commandes autant de fleurs Niels ? » Un sourire malicieux s'installe sur ses lèvres rosées. Cela ne lui plaira pas, elle le sait, mais elle s'en fout. Elle se fou de ce qui peut lui arriver. Elle observe le cadran de sa montre, d'habitude elle prend la voiture, mais aujourd'hui elle n'en avait pas envie. Bon timing, du moins elle faisait tout pour ne pas être en retard. « T'aurais pas un vase où je peux les mettre ? » Pendant ce temps elle regarde cette immense bâtisse. Et dire qu'il y vivait seul, mais pas bien longtemps elle s'en doutait. La tête levée vers le haut, elle regarde le magnifique lustre suspendu. Elle plaint celui qui ce le recevra sur la tête un jour.

Les mains tremblantes, la sueur froide coulant le long de mon échine cambrée, j'attends. Les secondes s'écoulent et c'est comme un noeud coulant qu'on sert autour de mon cou. Je ne m'étais pas senti aussi mal, et paradoxalement aussi vivant depuis la jouissance excessive éprouvée devant le cercueil de mon cher père. Je crois que c'est la dross, faudrait que je freine sur cette connerie. Elle me pourrit de l'intérieur comme un putain de virus, un ver parasite qui vous ronge les os, vous suce le sang, vous gobe la moelle. Peu à peu, je sens ma conscience osciller entre délire et réalité, mon humanité -pour le peu qu'il m'en reste, elle, elle fout le camp. Faut que je freine sur cette merde. Mais c'est tellement bon. C'est comme un saut dans le vide, un saut dans l'inconnu, dans le méandre de mon propre être. A peine avais-je entendu le bruit du vélo se poser au sol que je m'étais précipité sur la porte. J'ouvre. Maggie, oh Maggie. Son visage m'apparaît comme une lueur dans une nuit morbide, elle a le bouquet à la main, bouquet que j'avais déjà oublié aussitôt commandé. Je tend la main vers la sienne, la tire vers moi et pose un baiser sur sa joue de porcelaine tandis qu'elle m'assène quelques piques bien senties. Je laisse échapper un rire cynique et j'ignore son ton de reproche. J'imagine que cinquante fleurs ne vaudra jamais la dose que cette garce m'a volé. Si on ne peut plus rire maintenant... répondis-je, un sourire en coin même si son commentaire m'irritait. Cette histoire, cette garce s'étant explosé le crâne sur l'asphalte m'ennuyait. Ce n'est pas comme si elle avait fait preuve d'imagination ! Cela m'ennuyait, j'avais hâte de passer à autre chose, maintenant que ma favorite était arrivée. Cette place était à mes yeux, toute particulière, elle représentait, je crois, la plus belle pièce de ma collection de poupées. Aucune autre ne pouvait prétendre à ce statut. Et autant dire que j'aimais en prendre soin, la traiter comme une princesse, tentant de conserver ce beau jouet le plus longtemps possible. Même si parfois l'envie de la briser était trop forte et était péniblement étouffée par la dross et autre sucreries. Elle me demande où est-ce qu'elle peut mettre les fleurs, je lui répondrais bien de les foutre dans la benne à ordure mais au lieu de ça, je lui montre un des vieux vases Ming de collection. Où étais-tu hier, Maggie ? Je me souviens d'avoir fait une crise d'angoisse, d'avoir appelé sur son téléphone et d'être tombé sur son foutu répondeur puis de m'être précipité chez Reno en catastrophe alors qu'il était en plein trip. Je souriais, tentant de ne pas paraître menaçant.