« You're getting older, and you'll see that life isn't like your fairy tales. The world is a cruel place. And you'll learn that, even if it hurts. »

Si cette histoire était un conte, il faudrait certainement commencer par « il était une fois », mais ce n’en est pas un, alors le problème ne se pose pas. Heureusement, d’ailleurs. Vous m’imaginez raconter un conte ? C’est contraignant un conte, il faut que ça amuse les enfants, que y ait une morale – la morale, certainement le pire, vous croyez quoi vous, qu’on peut trouver une morale dans tout ce qui vous arrive – et que ça se finisse bien, le truc vachement réaliste en somme. Ne vous faites pas d’illusions, ça finira plus mal que ça n’a commencé. Et puis, avouez-le, c’est ennuyant les contes et ça ne satisferait pas votre curiosité pour les histoires macabres. Ce récit tient davantage de la légende. Vous savez, ces légendes urbaines, qu’on raconte depuis toujours sans savoir quand cela a débuté. Celles que vous racontent vos grands-frères pour vous faire peur, lorsque vous êtes encore petit. J’ai oublié quand est-ce que je l’ai entendue pour la première fois. Ça n’a pas d’importance au fond. .

Elle s’appelait Ophélia, elle avait douze ans. Ophélia ne jouait jamais avec les autres enfants, elle était bien trop renfermée sur elle-même pour cela. Elle passait tout son temps à dessiner, elle ne vivait qu’à travers les histoires qu’elle se forgeait dans son esprit. Tout n’était que rêve éveillé pour elle, elle était déconnectée de la réalité. Faut pas croire que j’étais malheureuse, ça non, c’était comme ça que j’appréciais la vie. La réalité, c’est dur. Parfois, il est plus facile de s’évader et de disparaître, tout simplement, dans l’océan de ses rêves. Je prenais garde à ne pas m’y noyer, c’est tout.

Et puis un jour, c’est arrivé. Je ne sais ce qui s’est passé, je ne m’en souviens plus. J’ai oublié. Ma mémoire me semble être comme une passoire, mes souvenirs s’effacent sans que je ne puisse rien y faire. Peut-être que je m’efface aussi, un peu, et que bientôt je n’existerai plus. Ce serait plus logique. Personne ne sait ce qui s’est passé ce jour-là. Je rentrais de l’école, j’étais heureuse, je me souviens, j’avais cette barrette porte-bonheur dans les cheveux. Cette stupide barrette papillon que m’avait donnée ma mère avant qu’elle ne s’en aille. Avec cette barrette, je pensais que rien ne pourrait m’arriver. Il y a des moments où ma propre stupidité m’effraie. C’est la dernière fois qu’on a vu Ophélia. Elle a disparu.

Dieu sait combien ses parents l’ont cherchée. Ils l’aimaient. Je crois que ma mort leur a brisé le cœur. Je le regrette souvent quand je vois ce qu’ils sont devenus. Je suis morte, et ils n’y ont pas survécu. Je ne sais plus comment s’est arrivé. Je crois que c’était un matin, à moins que ce ne soit un soir. Un coup de fil anonyme. La voix terrifiée d’une fille avertissant le samu que son copain avait fait une overdose. Quand ils sont arrivés, ils ont trouvé le type sur le sol, sans trace de la fille. Ils ont embarqué le drogué. On aurait pu en rester là, mais un infirmer a avisé une flaque d’un écarlate suspect. Le gars qu’ils venaient de charger dans l’ambulance n’avait pas perdu de sang. Alors, il s’est rapproché, et en écartant quelques poubelles, il a fini par trouver un cadavre. Celui d’Ophélia. Il est étrange de me dire qu’à une coïncidence près, on n’aurait peut-être jamais retrouvé mon corps. Mais ils l’ont trouvé. Pauvre Ophélia, pauvre petite fille innocente. Enveloppe violée, mutilée, déchirée, écorchée, abimée. Souillée par l’impureté de l’esprit malade responsable de sa mort.
Personne n’a jamais su ce qu’il s’était passé. Une vague de folie s’est abattue sur la ville. Les gens sont devenus plus ou moins cinglés. Des scientifiques ont trouvé une explication tout à fait rationnelle. Des conneries si vous voulez mon avis. C’était tout simplement le début de l’imaginaire.

On raconte qu’elle n’a jamais trouvé le repos et qu’elle hante la ville. Il y a des tas d’histoires débitées autrement que la mienne sur Ophélia, mais toutes se rejoignent sur un point précis : elle chercherait à se venger. Pour se faire, elle s’introduirait dans les rêves des gens, les piégeant dans d’affreux cauchemars sans leur laisser la moindre chance de s’en sortir. Jusqu’à les rendre fous. Il vaut mieux éviter de rêver par ici, c’est elle qui contrôle vos rêves. Vous vous souvenez, je vous avais dit qu’elle s’était inventée un monde bien à elle. En mourant, elle l’aurait matérialisé. L’imaginaire. Son propre univers parallèle. Elle les y enfermerait pendant leur sommeil, ôtant aux rêves l’aspect innocent qu’ils pouvaient avoir. Les concrétisant. Jusqu’au jour où elle retrouvera son meurtrier. Mais aveuglée par sa haine, elle ne fait plus la différence. My pain is constant and sharp, and I do not hope for a better world for anyone, in fact I want my pain to be inflicted on others.

J’ai été effacée. Tout le monde a oublié qui était la véritable Ophélia. La vérité, c’est que tout le monde s’en fout. Je ne suis plus rien. Comme rayée de la surface de la terre. Ce serait donc moi qui serais à l’origine de l’imaginaire. Si vous voulez mon avis, ce n’est qu’une autre de ces légendes conçues pour expliquer l’inexplicable. Ne prenez pas trop mon histoire au sérieux. Quoi que, si je suis là pour vous la raconter, on doit y trouver une certaine réalité, non ?

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